Le Libre: Ron Gorchov : une leçon d’émancipation
★★★ Ron Gorchov. The Shade Between Peintures Où Maruani Mercier, avenue Louise 430, 1050 Ixelles, maruanimer- cier.com Quand Jusqu’au 21 dé- cembre, du lundi au samedi de 11h à 18h.
Depuis les années 60, Ron Gorchov (Chicago, 1930) offre à la toile de lin d’autres perspectives que ce châssis plane et anguleux, désespérément classique. L’artiste américain ne peint que sur des toiles courbées et ten- dues sur des structures convexes et concaves, se rapprochant tantôt du bouclier, tantôt de la selle de cheval. Une forme qui détient des propriétés inhabituelles : les angles s’adoucis- sent, l’attention se diffuse uniformément, une tension s’installe régulièrement sur toute la surface... à la fois accueillante et perturbante.
Abstractions mythologiques
La vingtaine d’œuvres présentées ont été réalisées entre 2017 et 2019 par l’artiste qui a fêté en avril dernier ses 89 ans. La palette chromatique, audacieuse et lumineuse à souhait, s’offre quelques envolées vers des teintes survitaminées. L’artiste tra- vaille avec des couleurs – toujours li- mitées à 2 ou 3 par tableau – très li- quides laissant apparaître par trans- parence le dessin préparatoire. Aussi, il ménage de fines coulées sensuelles. Suggérant que la pièce a été réalisée à la hâte, les bords sont laissés vierges, ce qui atténue un peu plus encore le mordant des angles dont on a l’habitude. Sur cette surface colorée, l’artiste pose le plus souvent deux for- mes biomorphiques – se répondant
régulièrement en écho – qui lui sont entre autres inspirées par les vides pouvant se dessiner entre le tronc et les bras. Aussi, il ne cesse de puiser dans l’histoire et la mythologie. Ses titres l’attestent : Ron Gorchov puise sans réserve dans les noms de dieux mythologiques ou issus de récits an- tiques (Mérope, Melanthius, Darda- nus, Pallas, Alastor...). Quelques fois, ce choix livre ses propres clés de compréhension, comme ce tableau composé de deux magnifiques for- mes couleur lie-de-vin, baptisé Bac- chus. Le plus souvent, il faudra cher- cher la logique.
Aussi, il est intéressant d’observer la différence de perception induite par ce support complexe: dans le cas des toiles planes, l’œil se focalise vers le centre, négligeant souvent les mo- tifs périphériques. Ce constat est ici contrarié. Notre attention se diffuse avec autant de souplesse que la forme de l’œuvre, vers un ensemble qui ga- gne en cohérence et homogénéité.
Une pièce reprend le même pro- cédé de cette surface courbée, mais cette fois en bronze. Sublime ! Même les agrafes de la “toile” de bronze sont réalisées dans la même matière. Un travail juste et fort débuté en 1971. La galerie expose également deux “Stacked Paintings”, soit des empilements de couleurs monochromes, décalées dans leur superposition.
Définitivement, il y a quelque chose des arts premiers dans cette production dont le minimalisme de la composition est inversement proportionnelle à la complexité du support.
Gwennaëlle Gribaumont